La vie d'un futur mort

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Une heure après, alors que je dormais, mon père faisait irruption dans ma chambre en m’hurlant de descendre de la mezzanine qui me servait de lit. Arrivé en bas il me jette au visage mon carnet puis commence à me mettre des claques. Des claques plutôt violentes. Du coup je me protège et me recroqueville en me retournant. C’est alors que les claques sont devenues des coups de poings me coupant le souffle et me mettant à terre. Il quittait alors la pièce en me laissant ainsi sur le sol…

Deux mois plus tard naissait ma dernière soeur, deuxième fille de mon père. 15 jours plus tard, je partais chez ma mère.

Mais il y a eu un autre fait des plus marquants dans ma vie et dans celle de beaucoup de ceux qui ont vu ces images… le fameux 11/09. Je me rappellerais toujours de ce jour. Je rentrais du collège comme d’habitude, j’allais directement chez la nourrice de ma soeur. La télé était allumée et Jean-Pierre Pernaut y était bien plus tôt que d’habitude. C’est alors que j’ai vu cet avion foncer droit dans cette tour, cet immense immeuble, et exploser. Puis ce deuxième avion, peu de temps après, dans la tour d’à côté. Je n’ai pas compris. "Pourquoi ?" Voilà la question que je me posais. Et les images continuaient de défiler. Ces deux avions qui fonçaient encore et toujours dans ces deux colosses de fer, de verre et remplis de chair.

Mais l’horreur ne s’arrête jamais. Et je voyais alors ces gens, des êtres humains comme ma soeur, mon voisin ou moi, se jeter par les fenêtres. Tombant comme des gouttes d’eau lorsqu’il pleut, s’écrasant certainement en faisant le même bruit. Cette chute interminable pour eux, si longue et douloureuse à regarder pour moi.

Et moi qui pensait qu’il ne pouvait y avoir pire. Voir les deux tours s’effondrer, comme si David avait su mettre à terre deux Goliaths, vacillantes une par une, disparaissant dans un nuage de poussière, ne laissant que le silence et la mort… Une mort qui mis des années pour ceux qui s’en sont sortis, leurs poumons gorgés de cette poussière.

Ce soir là je n’ai eu de cesse de pleurer. J’ai pleuré pour ces gens que je ne connaissais pas mais que j’avais vu mourir. Car je savais que ce n’était pas des acteurs, que c’étaient des gens qui avaient une vie un peu comme la mienne, que leurs coeurs ne battaient plus, que leurs poumons ne se rempliraient plus, que plus jamais ils ne penseront. Ces gens qui ne faisaient que vivre simplement leurs vies, comme moi j’allais au collège tous les jours… Et j’ai pleuré de tristesse, mais aussi de colère. De colère car j’en voulais à ce fameux Dieu dont on m’avait tant parlé. C’est d’ailleurs la que le divorce fut prononcé entre lui et moi. Je lui en voulais car ces gens ne méritaient pas de mourir. Car Dieu était censé veiller sur nous. Et j’ai donc passé la nuit à pleurer. Depuis, je n’ai plus jamais pleuré.

Je suis donc arrivé en cinquième chez ma mère. Je n’allais pas retourner chez mon père avant un bon moment. J’avais coupé les ponts avec eux. Des fois j’avais ma belle-mère en pleurs au téléphone, me suppliant de revenir à la maison, me disant qu’elle était désolée, que je lui manquais. Mais c’était trop dur. J’avais pas envie de lui faire de la peine. Mais je ne voulais plus subir ça…

J’ai donc eu une vie un peu plus heureuse. Un peu…

Je n’ai pas trop parlé de mes histoires de famille mais j’en ai été le centre. Peu après le divorce de mes parents, mes grands parents paternels sont restés proches de ma mère et ça a été un drame familial. J’ai été le chouchou de mes grands parents sans vraiment le vouloir, déclanchant la jalousie de mes cousines, la colère de ma tante et créant le plus gros éclatement familial possible. Mon père et ma tante ne se parlent plus, mes grands parents ne parlent plus à leurs enfants… Et moi je suis au milieu. Mais je n’ai jamais rien vu ni jamais rien compris. Tout ce que je voyais c’est que c’était à cause de moi. Je me suis toujours senti comme étant le fautif dans chaque histoire.

À côté de ça il y avait le côté de ma mère. Chacune de ses soeurs avait deux fils, plus jeunes que moi. J’étais l’aîné de tous, l’exemple, le modèle. Je leurs apprenait toujours tout ce que je savais et les considérais tous comme les frères.

J’ai toujours aimé la famille. Elle passe au dessus de tout dans ma vie. Je suis prêt à tout pour un membre de ma famille. C’est mon sang, on ne peut lutter contre ça. Mais les voir se détruire comme ça était horrible.

Il y a eu un évènement qui m’a aussi traumatisé. Pendant que j’étais chez ma mère, ma petite soeur, la plus vieille, a subi une chose que je ne pardonnerais jamais. Alors qu’elle jouait au parc avec un ado qu’elle voyait souvent, et en qui mon père et ma belle-mère​ avait confiance, celui s’est amusé à lui faire des attouchements… Je m’en suis toujours voulu car pour moi j’aurais du être là. Si je n’étais pas parti chez ma mère c’est avec moi qu’elle aurait joué et pas avec lui.

C’est à partir de là que j’ai commencé à broyer du noir…